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Neolitic

« Neolitic » c’est-à-dire ni Néolithique (en français), ni Néolithic (en anglais). Le mot a été redessiné par Didier Marcel, il fait cela, il s’attache à une chose et il la redessine, et comme ce mot qui n’a plus vraiment de sens dans le langage écrit, cette chose se dévêt de ses significations connues sans vraiment les abandonner entièrement. Neolitic, on dirait le nom d’un tik-tokeur, un mot dans un texto ou les paroles d’une « musique urbaine » (comme le mot anglais « die » devient « Da-hiii » dans le tube de Gazo —plus de cinq cent millions de streams et une « certification diamant » : que veut-elle dire ? mystère, mais diamant tout de même). Car l’époque inflige aux règles qui s’imposaient à tous toutes sortes de torsions : elle s’en va ainsi, clopin-clopant — et affirme que c’est la nouvelle démarche. C’est le sujet de Didier Marcel (et certainement pas de réfléchir aux relations de l’homme avec la nature). La poésie que nous percevons, c’est celle dont il flanque ces objets, une petite piqure de poésie ici, une autre là, comme de petites injections de Botox poétique qui paralysent l’expression naturelle de l’objet et le figent, contours curieusement redessinés, en marge du monde originel mais pas trop loin de lui non plus. 

S’il faut se souvenir du néolithique, avec Wikipedia bien sûr : « Parfois nommé “âge de la pierre polie“, est une période préhistorique marquée par de profondes mutations techniques et sociales, liées à l’adoption par des groupes humains d’un modèle de subsistance fondé sur l’agriculture et l‘élevage… » Préhistorique, agriculture, élevage, tout cela semble cohérent à cette expositions qui montre labours, balles de foin, vénus préhistoriques – « groupes d’humains » et « mutations sociales » renverraient ainsi aux trois versions de « discussion », etc. Et bien sûr rien n’est juste, tout est « à côté » de la vérité, en plein dans le mille de la vérité redessinée. L’art de Didier Marcel n’est pas conçu pour comprendre le monde, il est l’invention d’un monde. 

Les Venus préhistoriques qui viennent à l’esprit —celles de Hohle Fels, de Willendorf, de Lespugues — celles dont André Leroi-Gourhan a décrit l’organisation schématique (inscription dans un losange a grand axe vertical, seins, abdomen et fesses hypertrophiées) ne datent pas du néolithique mais s’étirent de l’Aurignacien au Magdalenien. Peu importe cette vérité, une fois encore, et Didier Marcel s’en amuse, qui indique parfois dans le titre de ses Venus de coing « Rubens » ou « Rococo » (pas vraiment néolithique), …
Et les Labours émargent moins à la catégorie cool de la « Nature » qu’à celle, plus austère, du paysage — il a, lui, une histoire dans l’histoire des arts. Le paysage, c’est une construction, et Marcel construit paysages et éléments de paysage (souvenir d’un chef d’œuvre, Sans Titre(champ de blé aux corbeaux) paysage fabriqué par une machine agricole, des papiers froissés et quelques ombres – présenté à l’exposition du Prix Marcel Duchamp en 2008). Ses Vénus sont des coings moulés, il les installe dans les coins : une certaine forme de désespoir l’a conduit à une exaltation Dada. Car comment, autrement, regarder l’époque ? 

« Tout est affaire de point de vue » : c’est la version optimiste, démocratique, tolérante.
Ici, pas tant que cela. Tout est plutôt affaire de présentation : on dirait qu’il s’agit d’une vision « consumériste » si cela était cohérent avec ce que l’on voit, mais il n’en est rien, désolé, pas de critique de l’économie capitaliste, pas cette fois, il s’agit simplement d’une vision poétisée, à fort potentiel onirique même, et qui rappelle celle des Totems de Louise Bourgeois, les « objets mobiles et muets » de Alberto Giacometti — et quelques objets Surréalistes. Le processus de poétisation peut chez Marcel être aussi simple que l’application par flocage d’une couche de fausse neige, sur une version miniature d’une sculpture de Vasarely ou sur une tête de balai brosse, cette dernière alors rebaptisée « Paysage » et oui, en effet, c’est plausible. L’opération n’est pas très différente de celle qui permit à Picasso de transformer une selle et un guidon en Tête de Taureau (1941).

Cette pierre, qui ressemble à un ventre (il y a même un nombril), et celle-ci, comme un triple visage, ont été mises en scène par deux tiges de métal emboitées, induisant une hauteur réglable, deux plans horizontaux de forme carrée ont été ménagés, l’un plus étroit que l’autre, et puis il y a la vis et sa tête, qui permettent d’immobiliser les tiges verticales dans leur coulissement-un peu à la manière d’un pied de micro ou d’un lutrin. Ainsi la sculpture n’est pas la pierre mais l’ensemble du dispositif et les évocations qu’elle induit : le micro, le lutrin. Comme la « Boule Suspendue » (1931) de Alberto Giacometti, où la boule de bois est finalement aussi importante que le dispositif de présentation en fer qui la théâtralise. L’histoire de cette pierre n’a aucune importance, le storytelling est dans l’articulation des formes entre elles. La pierre d’ailleurs n’est plus une pierre : comme les coings, les citrons ou les grenades elle fut moulée et éditée en bronze « à la cire perdue » — la technique la plus traditionnelle qui soit. Une technique « à l’ancienne » et pour ces Venus de coing des bras métalliques articulés pareils à ceux qui, contemporains, soutiennent les télévisions dans les chambres d’hôpital. Idem du Cavalo, tréteau blanc en plâtre éloigné de Twombly par l’ajout de « sabots de métal genre talons aiguilles » (Marcel dixit) sous la forme de petites tiges de métal sous les pieds, et enfourché par une bûche. Ces petits dispositifs de mise en scène, qui littéralement fabriquent la sculpture, c’est un peu, comme on dit bizarrement aujourd’hui, sa « signature », (depuis que les peintres l’ont renvoyée au verso de leurs toiles, il fallait bien qu’elle réapparaisse sous une forme ou une autre) en tous cas depuis que, il y a quelques décennies, il a disposé des maquettes de bâtiments, en ruines où délaissés, sur de petites plateformes surélevées par des tiges, et qui tournent. 

Didier Marcel organise l’archéologie provisoire d’un monde parallèle au notre, redessiné, poétisé — redéfini, en somme, selon d’autres normes. Ses dispositifs de présentation, d’ailleurs, empruntent très directement aux musées archéologiques (la mise en scène d’un fragment) et ses sculptures semblent porter en elles la compression de plusieurs époques : Paysage Double Cervidés (2015) évoque la traduction en 3D d’une peinture rupestre « néolitic ? », l’usage de couleurs vives et monochromes donne à ses sections de paysages labourés des allures d’images générées par l’intelligence artificielle… Labours, troncs d’arbres, fruits portent en eux quelque chose d’ancestral, d’élémentaire : leur expression dans une couleur vive et monochrome les transporte dans l’époque des bibelots des boutiques de souvenir des sites archéologiques de Grèce ou d’Italie, où l’on peut acheter une figurine reproduisant une statue en jaune ou en rose. La sophistication de leur production, l’extraordinaire fantaisie qui les précède, les inscrit plus essentiellement dans une histoire de la sculpture — car là est bien leur ambition principale : accéder à une qualité sculpturale. Comment deux citrons ou une balle de foin deviennent ils sculpture ? Il y a certainement plusieurs hypothèses ; comme dans le monde de Google, certains résultats peuvent avoir été supprimés. 

– Eric Troncy

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Didier Marcel

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